11/05/2009
les étudiants
On me demande souvent si je suis étudiant. Non je ne suis plus étudiant, je n'ai même jamais étudié à Naples et heureusement. Parce qu'à étudier à Naples, beaucoup s'y sont perdus. A commencer par mon colocataire actuel Francesco. Il est inscrit en maîtrise depuis le siècle dernier, depuis le lointain 1999. Il n'est pas le seul loin de là. On rencontre énormément d'étudiant qui passés la trentaine sont encore à se débattre dans la fin de leurs études. La maîtrise dure normalement 4 ans et se conclue par un mémoire à rédiger. Mais il paraît qu'il humainement impossible de la finir en 4 ans. Aucun étudiant normalement constitué n'y est jamais arrivé. En voici une des raisons : les examens se font quand on veut. On suit les cours pendant un semestre, puis quand on pense qu'on est prêt on s'inscrit à l'examen. Et évidemment on ne se sent jamais assez prêt et on repousse sans cesse la date de l'examen. Deuxième raison : si on n'est pas satisfait de sa note on peut la refuser et repasser l'examen plus tard.
Troisième raison : les examens sont notés sur trente et est considère seulement comme une bonne note le 30/30, ou au pire 29/30. (en vérité on a vu des élèves accepter un 24/30 mais c'est vraiment en désespoir de cause, quand il veulent en finir après avoir retenter l'examen de longues années…) Imaginez en France le pauvre étudiant qui n'aurait de cesse de repasser ses examens tant qu'il n'aurait pas atteint le 20/20… Autrement dit, "mission impossible" ou au moins très difficile...
C'est pourquoi l'étudiant sérieux se consacre généralement à un examen à la fois. Réviser l'examen veut dire se procurer la photocopie du livre indiqué par le professeur. On le trouve facilement dans les nombreuses boutiques de photocopies en face des universités. Même si de temps en temps la police y fait une descente et séquestre quelques piles d'exemplaires photocopiés car il s'agit tout de même de copies illégales, livres entièrement en centaine d'exemplaire photocopiés sans droits d'auteurs. Quand l'étudiant s'est procuré le livre photocopié, il le lit une première fois en surlignant au marqueur les points important, puis il ne lui reste plus qu'à apprendre par cœur. Puis quand il s'estime prêt, mais alors bien prêt, il va voir le professeur qui lui indique une session (il y en généralement une quasi tous les mois). Le jour d'examen, tous les étudiants qui ont choisi cette session se retrouvent devant la porte de la salle vers 10 heures. Ils rentrent tous ensemble et s'assoient. Puis le professeur les appelle un par un et l'examen se déroule à l'oral devant tout le monde. S'il y a du monde, les derniers de la liste sortent vers 18 heures. Il arrive également qu'un professeur oublie de venir à l'examen, laissant tout le monde en plan à attendre, ou fixe par erreur la date de l'examen un dimanche. Ou bien donne le rendez-vous dans une salle inconnue ou qui n'existe pas.
Généralement les premières années on est motivé, on passe plusieurs examens dans l'année, puis au fur et à mesure, on ne va plus à l'université car on a déjà suivi tous les cours et il ne reste plus que les examens à passer. On commence à perdre le rythme, souvent on fait un petit boulot à côté pour pouvoir se maintenir ce qui éloigne de plus en plus du monde des études. Et si on finit la longue série d'examen, il reste encore le mémoire à rédiger, et beaucoup ont renoncé après des années d'effort devant cette ultime épreuve qu'ils ne savent pas par quel bout prendre puisque jusqu'à maintenant il n'avait fait qu'apprendre par cœur et voilà qu'au final on leur demande de penser par eux-même ce qui a de quoi déboussoler, il est vrai.
Ce qui explique que Naples soit remplie d'une foule d'étudiants longue durée qui n'en finissent plus d'étudier. Mais certains ont déjà renoncé dès le début, comme mes colocataires de mon logement précédent : Maria, Elena et, en particulier, Beppe. Beppe se lève tous les jours ponctuel : à 14 h précises. Il se traîne avec fatigue sur le canapé devant la télé, juste à l'heure pour les Simpsons. Il est rejoint peu à peu par les autres collocs et tout le monde reste là jusqu'à 15 h 30, fin de l'épisode de Dragon Ball Z. Entre temps on pense à se cuisiner des pâtes. Puis y'a les copains qui passent. S'il n'y a rien à la télé et qu'on a vraiment rien à faire, on va faire un tour à la fac voir ce qui se passe. Mais souvent trop tard pour les derniers cours. Et c'est déjà la fin de la journée. La soirée se passera dans la rue, de place en place, à faire le tour des différents groupes d'étudiants. La localisation de ces groupes change régulièrement mais voici la situation actuelle. Premier point du circuit : le Perditempo (perds ton temps…) le nom est déjà tout un programme. C'est un endroit minuscule, mais toujours bondé car visiblement le programme annoncé plaît. Il est situé à deux pas de la Place Bellini, le fameux Petit Montmartre de Naples, qui a gagné son surnom grâce à la présence de deux cafés littéraires et à l'imagination des Napolitains. Ensuite l'étudiant ne passe pas par la place Dante qui est plutôt réservée aux lycéens mais descend plutôt vers la place del Gesù Nuovo. A l'origine, on trouvait là tous les alternatifs, rastas, punks à chiens car on y trouve le SKA, qui est un bâtiment squatté qui est devenu un laboratoire social alternatif. Et tous ces gens se retrouvent là avec une drôle d'ambiance dans l'air comme si tout le monde attendait la révolution, une révolution n'importe laquelle, mais qui ne vient pas… Et donc en attendant, on boit, on fume, et des fois on fait un peu de musique. Mais à Naples quand il y a une mode, tout le monde la suit en masse ce qui fait que maintenant l'endroit est bondé et fréquenté par tous les gens les moins alternatifs possible, avec scooters, vêtements à la mode. Désormais, surtout le samedi soir, a plus grande partie de la place se transforme en parking sauvage et s'installent même les stands de boissons ou de bonbons et cacahuètes… C'est pourquoi l'étudiant préfère continuer son chemin. Il passe à côté de la place Santa Maria la Nuova. Il y a moins de deux ans c'était le centre névralgique de la vie étudiante nocturne, mais elle est aujourd'hui complètement déserte et le centre névralgique s'est déplacé un peu plus loin devant le Kesté. "Kestè" en napolitain veut dire "ça c'est " ou pour être plus claire "voilà la situation". Encore une fois, tout un programme. Et en effet, la situation est que tous les étudiants arrivent sur la placette devant le kesté et ne peuvent que constater que effectivement telle est la situation… Tout le monde est là à faire beaucoup de bruit mais à ne pas faire grand chose, l'animation consistant en l'arrivée d'un nouveau groupe d'amis, ou alors, plus intéressant, en l'apparition à sa fenêtre d'un des habitants des immeubles qui bordent la place. Ils commence par crier et gesticuler devant les visages amusés des étudiants, puis disparaît et reparaît soudain avec un gros sceau d'eau qu'il balance de sa fenêtre. Avec un peu de chance, il réussit à asperger quelques étudiants. Il referme sa fenêtre en marmonnant et voilà un nouveau sujet de conversation pour tout le monde…
Mais les étudiants sont tout de même des étudiants, et pour avoir bonne conscience avant de finir la soirée il vont faire un tour devant l'Université, place San Domenico Maggiore. Généralement, ce bâtiment de l'Université Orientale est toujours plus ou moins occupé par des étudiants en grève et il s'y passe toujours un petit quelque chose : projection de film, fête improvisée, ou un départ pour une manif nocturne. Si, si, vous avez bien lu, une manif de nuit. On part vers minuit et on fait le tour du centre ville en criant des slogans rebelles et en chantant "Berlusconi Voleur"… Puis l'étudiant s'en retourne chez lui, vers 4 - 5 heures du matin, épuisé par sa longue journée. Mon fameux colloc' Beppe n'avait souvent même pas al force de grimper les escaliers pour arriver dans sa chambre et souvent réussissait à peine à se traîner sur le canapé et à s'endormir devant la télé allumée, prêt pour une nouvelle journée d'étudiant…
Mais je dis ça il ne faut quand même pas exagérer, il y en quand même qui y arrivent à finir leurs études. Par exemple, dans mon logement d'encore avant, il y avait Fabrizio. Fabrizio, comme la grande majorité des étudiants de Naples, n'est pas napolitain. Lui il vient de Minturno, un village qui se trouve dans le Latium, à la limite de la Campanie. Comme tous les étudiants non-napolitains, tous les dimanche soir quand il rentre de chez lui, il arrive avec tous les bons produits de sa campagne ( huile d'olive, conserve de tomates, œufs) et tous les bons petits plats que lui a préparé sa maman pour la semaine. Fabrizio, habitué au calme de son village n'aime cette ville avec son vacarme incessant et ne manque pas une occasion de dire qu'il déteste Naples. A noter qu'à part pour aller à l'université à 200 m. Fabrizio ne met jamais un pied en ville. Pas le temps pour visiter la ville que part conséquent il ne connaît pas. Il doit étudier et il ne veut pas perdre de temps car il veut quitter cette ville de fous au plus vite; pour cela il un emploi du temps précis, un menu précis qui se répète chaque semaine (lundi : boulettes de viande sauce tomate, mardi : côtelette sauce tomate, etc…). Deux fois par semaine il va à la salle de musculation, car on sait pour quelle raison, Fabrizio doit se muscler. Et ainsi passe la vie d'étudiant de Fabrizio, triste à mourir, dans la hâte de retourner dans son village, plein de préjugés sur Naples qu'il n'aura même pas pris la peine de découvrir.
Et donc voilà pourquoi je suis bien content de ne pas avoir fait mes études à Naples. Mais il semble que ce modèle d'études sans fin soit en train de disparaître car une réforme a fini par transformer le vieux système pour l'adapter au système européen. Le cycle d'étude dure maintenant trois ans et il y a des pénalités si on met plus de temps à finir. Mais en attendant, tous les étudiants qui ont commencé leurs études avant la réforme gardent le vieux système ce qui fait que tous ces étudiants trentenaires ont encore de longues années tranquilles devant eux…
13:01 Publié dans Naples | Lien permanent | Commentaires (0)
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