22/10/2012
Nouvelles de la Borie 5 - Colchique dans les prés
Un matin, les vaches arrivent à l'étable, tranquillement. Elles s'installent plus ou moins sagement à leur ratelier et on s'aperçoit alors qu'il en manque une. Où est Argan?Avec Cédric on retourne dans le pré derrière l'étable pour la chercher. Elle est tout au bout dans un coin. Et elle vient de mettre bas un petit veau! Le petit veau est encore sonné, il tente de se mettre maladroitement sur ses pattes. C'est mignon! Et pendant ce temps la mère est en train de manger son placenta. Ça, c'est un peu moins mignon... Puis le veau cherche le pis de sa mère et commence à teter. La mère le lèche tendrement, c'est adorable...
D'ordinaire, quand un veau nait à La Borie, pour des raisons pratiques on le sépare direct de la mère ; on le met dans un box isolé et on le nourrit au biberon pendant plusieurs semaines, ce qui provoque à chaque fois l'indignation des stagiaires : « pauvre petit veau tout seul, séparé de sa mère !... » Mais cette fois là, peut-etre attendri par le tableau, ou lassé de passer pour un bourreau de veau auprès des stagiaires, Cédric décide de laisser le veau avec sa mère dans le pré. “on va essayer, voir ce que ça donne. » Je suis trop content car en fait moi aussi je le tannais avec ça. On regarde un petit moment le spectacle, attendris, puis on retourne à la traite. En revenant, « oh ! C'est quoi cette grosse fleur rose qui sort de l'herbe ? » « Un colchique, le premier de la saison. » « Et bien on n'a qu'a appeler le petit veau Colchique.. »
Les jours qui suivent, je vais souvent dans les prés, rien que pour le plaisir de contempler le veau et sa mère. C'est vraiment trop bucolique, le petit veau et sa mère, entourés par le troupeau qui pature paisiblement dans les près tout verts de cette fin d'été, sous le ciel bleu parcouru de jolis nuages blancs qui filent doucement, emportés par la brise. Et les colchiques, tous les jours plus nombreux dans les prés..
Les premiers jours, la mère reste dans le pré avec son petit pendant que les autres vaches viennent à l'étable pour se faire traire. Et puis le troisième jour, voilà la mère qui débarque, toute seule. Elle veut se faire traire aussi. C'est vrai qu'elle a les mammelles super-gonflées, le veau n'a pas l'air de réussir à boire tout le lait. On essaie de la traire, mais c'est tout dur, il n'y a presque pas de lait qui vient. En ramenant les vaches au pré, pas de traces du veau. Où est-il passé ? Un moment, on se demande si quelqu'un qui passait le long de la route ne l'aurait pas piqué, scénario un peu improbable... Mais la mère pature, sans avoir l'air de se préoccuper. On le cherche partout, le long des haies, rien. C'est incroyable. Puis je vois Blanche, une des vaches du troupeau, qui fixe un point de l'autre coté de la cloture. Je vais voir : il est là, planqué, couché en boule dans les grandes herbes. Et j'ai beau le toucher, le pousser pour le faire retourner vers sa mère, il ne veut pas bouger et s'aplatit encore plus. En fait, c'est exactement le meme comportement que les petits de chevreuils, qui se planquent et restent immobiles quand la mère s'absente. Sauf que là, la mère est juste à coté et elle a l'air de l'avoir complètement oublié. Il faut dire que son précédent veau, on l'avait séparé à la naissance alors elle ne doit pas avoir des instincts maternels si développés. Je tire le veau tant bien que mal pour le placer à la vue de sa mère. Meme pendant que je le déplace, le veau reste immobile comme une statue, c'est marrant. Il finit par apercevoir sa mère, se lève d'un coup et court vers elle. Ouf !
Il nous refait le coup plusieurs fois, une fois on passe près d'une heure à le chercher, c'est vraiment le roi du cache-cache. Puis il est finalement assez costaud pour suivre sa mère à l'étable. C'est sympa, il nous tient compagnie pendant la traite, il attend bien sagement dans son coin. Mais la mère ne va vraiment pas bien. Ses mammelles sont gonflées à bloc, mais dures comme de la brique et il n'y a plus une goutte de lait qui sort. Elle est en train de faire une mammite. C'est une infection des mammelles, le cauchemar des éleveurs. Et au bout de deux jours, Cédric m'annonce que c'est fini, Argan est morte. Alors ça ! Elle est allongé dans le pré, avec le petit qui attend tranquillement à coté, à l'ombre d'un arbre. On la recouvre d'une bache, l'équarisseur passera la rècupérer. Tout a été si vite, ça a été fulgurant.
En fait, elle attrappé cette mammite parce qu'on aurait du la traire, meme si le veau la tétait. En la laissant avec son veau, on croyait laisser faire la nature, et bé en fait on a provoqué sa mort... Car ces vaches Montbeliardes ont été sélectionnées pour faire le maximum de lait, plus de 20 litres par jour, quantité qu'un veau est bien incapable de boire. Elles ne sont plus adaptées pour vivre toutes seules dans la nature. Elles doivent etre obligatoirement traites. Leur vie est donc maintenant indissociable de l'homme. Voilà, c'est la réalité de l'élevage. Un autre truc à savoir, c'est que pour avoir une production de lait continue, il faut qu'une vache ait en moyenne un veau par an. La Borie avec un troupeau de 6 vaches laitières produit donc 6 veaux par an. On en garde un ou deux pour remplacer les vieilles vaches, mais les autres qu'est ce qu'on en fait ? Autrefois à la campagne, ça faisait de la viande, mais à La Borie ils sont végétariens. Du coup, ils les vendent. À l'abbattoir...
Deux semaines après la mort de sa mère, le petit veau Colchique est de retour dans les prés avec les autres vaches. C'est une femelle donc on va peut-etre la garder. D'ailleurs comme c'est une femelle, il faut dire velle et non pas veau, mais ça fait un peu bizarre comme mot.
Colchique est dans les prés, et à la Borie, avant le repas du midi, on chante justement « Colchiques dans les prés ». Il y a toujours un chant avant le repas. Souvent c'est Alleluiah, Alleluiah, mais d'autres fois, c'est plus sympa, ce sont des chants folkloriques, de saison, et donc comme arrive l'automne, c'est le moment de chanter Colchiques dans les prés, chanson que je connais depuis que je suis tout petit mais qu'il me semble tout d'un coup comprendre pour la première fois. Et oui, quand les colchiques fleurissent dans les prés, c'est la fin de l'été...
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