19/12/2007
Le voyage ne s'arrête pas à Naples
A Naples, je suis resté une dizaine de jours. Je suis allé à la rencontre de la petite, toute petite asso Legambiente de Naples et j’ai aussi fait une conférence devant l’association cycliste. Je leur ai raconté mon voyage, je leur ai montré des photos et quand j’ai commencé à parler de la critical mass à laquelle j’avais participé à Milan, certains ont été enthousiastes. « Chiche on le fait à Naples ! » Fallait pas m’en dire plus, moi depuis Milan je rêvais de faire la même chose à Naples. On a donc fixé rendez-vous le samedi matin sur la place Plebiscite à tous les cyclistes de la ville en espérant d’être le plus nombreux pour pouvoir reprendre possession de la rue. Parce que Naples, c’est vrai, c’est la ville des extrêmes, très belle mais très chaotique, pleins de problèmes. Mais après trois mois sur les routes d’Italie en vélo, ça me saute aux yeux un des principaux problèmes de Naples. Si la ville est polluée, bruyante, dangereuse, noire, encombrée, je sais pourquoi, je tiens les coupables : ces satanées voitures et ces scooters fous. Enlevez-les de la rue et vous obtenez une ville métamorphosée. Et si on essayait pour voir. C’est un peu le but du Critical mass. Pour fonctionner, une Critical Mass doit atteindre la masse critique (d’où le nom), c'est-à-dire être assez de cyclistes pour former un groupe compact et se faire respecter des voitures. En effet, en ville, si une voiture voit une bicyclette, elle n’y fait pas attention et ne ralentit même pas en la dépassant. Par contre si elle se trouve face à un gros groupe de vélos elle est obligé de le prendre en considération comme un autre véhicule. Mais arrivera-t-on à trouver autant de cyclistes à Naples ?
En arrivant le samedi matin, j’avais un peu des doutes. Je me disais que déjà si on était une vingtaine ce serait un succès. Tout d’abord je ne vois personne, si ce n’est des groupes de touristes et une cinquantaine de motos de police rangées en file. Ces motos se mettent toutes en mouvement et partent faire un genre de défilé, et derrière, des vélos ! Des dizaines de vélos ! Et ça continue d’arriver. Tout le monde se regarde surpris d’être autant. A la fin on est bien une quarantaine. Ca tient presque du miracle : il existe donc au moins 40 cyclistes à Naples. Je leur explique le principe d’un Critical Mass. On reste en groupe bien compact et on s’aventure dans les rues. Et si possible dans les rues les plus embouteillées. On va commencer par le Cours Umberto Ier. Certains me regardent avec des regards effrayés. Mais tu es fou, on va se faire manger par les voitures… Pas de panique et restez en groupe. Et c’est parti, notre petit groupe de vélo, qui d’ailleurs n’est pas si petit que ça, s’aventure dans la rue et, miracle, ça fonctionne ! On occupe toute la largeur de la rue et les voitures restent sagement derrière nous. Et les scooters, bloqués derrière les voitures. Et comme par magie, la rue devant nous est toute dégagée. Quelle sensation étrange, rouler en vélo à Naples en toute sécurité… La rue devient silencieuse, l’air est moins pollué puisqu’on n’a plus les gaz d’échappement dans la figure. C’est assez incroyable un tel changement. Et on continue dans les pires endroits où jamais un cycliste n’aurait osé s’aventurer en temps normal : Place Garibaldi devant la gare, Place Carlo III, sur la longue via Foria. Ces avenues, d’où d’habitude se dégage seulement une impression de bruit et de pollution, nous apparaissent différemment. On a le temps de regarder les immeubles qui en fait sont jolis. En passant le long du jardin botanique on peut même respirer les effluves de fraîcheur de la végétation. Naples transformée…
Bien sûr il y a quelques scooters qui essayent de nous dépasser, mais les automobilistes sont beaucoup moins énervés qu’à Milan. Il faut dire qu’ici ils ont tellement l’habitude d’être bloqués dans les embouteillages. L’ambiance est joyeuse, les passants sur les trottoirs sont surpris, mais plutôt contents de ce répit improvisé de calme dans la rue. On discute entre cyclistes, certains me racontent que c’est la première fois qu’ils osent faire du vélo dans le centre-ville.
A la fin on finit par être bloqués nous même par les embouteillages de voiture mais on se faufile et on conclue notre tour en retournant place Plébiscite. Tout le monde est enthousiaste et voudrait recommencer l’expérience, et voudrait amener des amis pour être encore plus. Décision est prise de refaire ça chaque mois. Moi je suis vraiment content d’avoir réussi à concrétiser ce rêve et que mon passage ait servi à lancer l’initiative. Je ne pédale pas pour rien…
Voilà pour Naples. Mais un tour d’Italie qui se respecte se doit de finir à Rome. Et donc le mercredi je renfourche ma bicyclette pour dix derniers jours de vélo jusqu’à la ville éternelle.
Nous sommes fin novembre le temps n’est pas terrible mais le but est d’arriver au congrès national de Legambiente, qu’ils ont eu la mauvaise idée (pour moi) de placer le 7 décembre. Ce qui m’a contraint de rouler pendant tout l’automne. (y’avait quand même pas que des désavantages : c’était la saison des mandarines comme ça j’ai pu en prendre plein sur les arbres…). De Naples je fais une première étape d’une vingtaine de kilomètres vers le nord jusqu’à Succivo où m’accueille une asso Legambiente. Je traverse toute la banlieue de Naples. Cette zone n’a pas très bonne réputation, entre mafia et décharges illégales, je m’attends au pire. Mais bon, personne ne me tire dessus, des déchets évidemment il y en a, mais bon je m’attendais à pire, et j’ai la surprise de découvrir les centres-villes préservés plutôt jolis qui correspondent aux anciens villages qui ont étés absorbés par l’urbanisation. L’asso de Legambiente se trouve même dans une vieille ferme fortifiée du XVIIème siècle, au milieu d’un morceau de campagne préservée. En fait si la zone autour de la ferme n’est pas construite, c’est surtout grâce à eux, parce qu’ils sont réussit à faire classer la ferme en monument historique avec un périmètre de protection autour, ce qui a un peu contrecarré les plans d’urbanisation massive de la commune. Autant dire qu’ils ne sont pas très appréciés par la mairie. Ici, les politiques ne pensent qu’à construire, car c’est bien connu, le bâti est le meilleur moyen de recycler l’argent sale de la mafia. Ca construit n’importe comment, n’importe où, sous les lignes à hautes tensions. La mairie a prévu des milliers de logements sans le moindre plan d’urbanisme, sans penser par exemple à faire de nouvelles écoles pour accueillir les nouveaux enfants. Ce qui va conduire à des situations explosives. Legambiente essaye de maintenir l’identité du territoire, essentiel pour maintenir la cohésion. L’asso s’appelle « la vigne et le peuplier » pour rappeler une technique de culture de la vigne particulière à cette zone. Les paysans faisaient pousser les vignes sur de grands peupliers, jusqu’à 5 mètres de haut. Les peupliers servaient de tuteurs et le raisin se récoltait à l’aide d’échelles. C’est incroyable la variété de culture de la vigne que j’ai rencontré en faisant le tour de l’Italie… A Succivo, je fais une animation à l’école primaire, où comme d’habitude les enfants sont enthousiastes pour le vélo puis je repars pour Caserta. Mais il pleut, et fort. Souvent les enfants me demandent qu’est ce que je fais avec mon vélo si il pleut. En général je réponds que j’attends que la pluie passe car les averses ne durent jamais plus d’une heure. Mais cette règle ne fonctionne plus en novembre. Il pleut, il pleut, ça ne s’arrête pas. Et bien si il pleut trop, dans ce cas je prends un autre moyen de transport peu polluant : le train. C’est bête parce que je n’avais que 20 km à faire mais ce jour-là pas une accalmie.
Caserta, c’est le Versailles de Naples, du temps où Naples était la capitale du Règne des Deux Siciles. A Naples il y avait aussi des rois Bourbon, et ils ont voulu faire comme leurs cousins français, un immense palais à l’écart de la capitale agitée. Et le résultat est plutôt réussi. Quand on arrive à Caserta, pourtant distante de Naples de seulement 30 km, on se sent loin de Naples, l’atmosphère est toute tranquille, les rues aux pavés luisants sous les décorations de Noël, l’architecture des petits immeubles bourgeois font beaucoup penser à une petite ville d’Ile de France. L’impression y serait presque si ce n’étaient ces montagnes de déchets qui s’accumulent dans les rues. Parce qu’à Caserta, un peu comme partout ailleur sen Campanie d’ailleurs, ils ont un petit problème : la décharge est pleine et ils ne savent plus où mettre leur déchets. Je vous laisse imaginer comme ils ont des administrateurs avisés, qui attendent que les décharges soient pleines pour se demander où mettre les déchets. Evidemment aucun tri sélectif mis en place, pendant que le centre de recyclage du plastique distant de seulement 10 km tourne à 20 % de sa capacité. Et oui mais un centre de recyclage, ça n’intéressait pas les politiques. Eux ils voulaient l’incinérateur, le gros, l’énorme dans lequel on peut tout brûler, déchets normaux mais aussi déchets toxiques importés illégalement du nord de l’Italie. Et cet incinérateur est prévu justement en plein milieu de la zone contrôlée par la mafia à Acerra . Alors la population, qui a deviné ce qui allait se passer, s’est insurgée et a bloqué la construction. Et qu’est ce qu’on fait maintenant ? Certaines rues commencent à être bloquées par les montagnes de déchets qui s’accumulent. Legambiente, qui est écologiste mais aussi pragmatique dit qu’au point où on en est, ce sera toujours mieux l’incinérateur que de mettre le feu au tas d’immondices. Mais il faut des contrôles, tant de contrôles. Quand on sait que l’usine qui prépare les déchets pour l’incinérateur, qui fabrique les fameuses écoballes, n’est déjà pas aux normes, il est évident que l’incinérateur dépassera les normes de rejet. Alors mettons aux normes les écoballes. Mais rien ne se fait. Parce que comme ça la situation reste dans l’urgence. Et régulièrement la mafia propose des terrains où stocker les déchets en attendant, et l’administration n’a pas le choix vu l’accumulation dans les rues, et comme ça la mafia réussit à faire recouvrir ses déchets toxiques illégaux par les déchets « normaux ». Enfin bon, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec ce problème bien complexe mais pour résumer : c’est le bordel… C’est un fléau cette mafia..
Moi à Caserta je suis venu parler d’un autre problème les transports (imaginez qu’à Caserta, une ville de 60.000 habitants il n’y a même pas de service de bus) et comme à mon habitude je vais dans les écoles. Les enfants sont bien intéressés par ce que je leur raconte. Dans la deuxième école où je vais, j’ai même droit à un accueil impressionnant : les enfants m’ont préparé des poèmes du genre « si le vélo avec Youri tu utiliseras, la terre et le climat tu sauveras… », ils ont fait des dessins, les mamans m’ont cuisiné des gâteaux. C’est trop la fête ! A la fin je sors ma petite guitare et on chante tous ensemble. Quand je dois repartir, toute l’école sort me dire au revoir. Il y a aussi des délégations du collège et du lycée, et aussi un conseiller municipal est venu me saluer. Quand je m’éloigne avec mon vélo et mon petit chariot, les enfants me courent après en me disant au revoir… C’est la folie ! Ca c’est de l’accueil ! Ensuite un petit groupe de cycliste me fait faire le tour de la ville et me porte au château. Effectivement ça ressemble beaucoup à Versailles, et le jardin aussi, avec une perspective impressionnante de 3 km, sauf qu’ici, au lieu de se terminer dans la plaine, l’allée centrale se termine sur une montagne en face. Vraiment très beau.
Et maintenant en route pour Rome et les dernières étapes…
17:55 Publié dans Tour d'Italie | Lien permanent | Commentaires (0)
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