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27/03/2009

Le Carnaval

Alors.. Continuons notre description des festivités napolitaines. La dernière fois, j'ai parlé de la Sant'Antonio et de ses feux de joie, le 17 janvier. Le lendemain commence la période de Carnaval qui se finit le 24 mars, jour de Mardi-Gras. Ca dure donc plus d'un mois. Cette Carnaval à Naples c'est très, très particulier, à tel point que j'ai un peu du mal à la considérer comme une fête. Ce serait plutôt un mois de peur dans la rue, un mois où les enfants deviennent les véritables maîtres de la rue. C'est connu, pendant le Carnaval on se fait des farces, les enfants se lancent des oeufs et de la farine, c'est limite rigolo mais c'est pas méchant, en France aussi on connaît ça. Mais à Naples comme d'habitude ça dégénère... Et pendant tout le mois on voit ces bandes d'enfants roder d'un air menaçant. Au début ils se lancent les oeufs entre eux, mais ils finissent vite par se lasser et ils commencent à s'en prendre aux passants. Mais pas n'importe quels passants : uniquement les femmes seules, sans défense! Un bel exemple de courage... Et ils redoublent d'imagination pour malmener leurs pauvres victimes : les oeufs en pleine figure, bombe à raser dans les cheveux, seringues de javel sur les vêtements et même pour les plus demeurés à court d'idées, directement des cailloux pour faire mal. Ca peut finir en véritable pugilat, sous le regard attendri des parents. "C'est des enfants, faut qu'ils s'amusent..." Quel amusement! Ca fait une impression très bizarre ces groupes d'enfants qui parcourent les ruelles d'un air menaçant. On dirait un peu des milices qui patrouillent la ville et choisissent leurs victimes. Quand on passe devant eux, le mieux est de ne pas se faire trop remarquer ou de changer de trottoir. Mais bon, vive l'ambiance de fête! Il y a régulièrement des blessés, victimes de l'amusement un peu trop forcé des gentils garnements. Cette année la Commune a même fait passer une loi anti-oeufs : il est interdit de vendre des oeufs et autre bombe à raser aux mineurs pendant toute la période de Carnaval. Le dernier jour de Carnaval, on atteint le paroxysme, beaucoup suspendent leurs activités, il est fortement recommandé de ne pas sortir tout seul de chez soi.

A noter cependant que cette année le dernier jour du Carnaval a été plutôt calme. Est-ce grâce à la loi anti-oeufs qui a mis les enfants à court de munition. Ou alors grâce aux patrouilles anti-oeufs qui se sont organisées pour donner la chasse aux garnements qui exagèrent. Ou tout simplement que les enfants ont finit par se lasser après tout un mois à lancer des oeufs...

En tout cas quand finalement le Carnaval se termine, tout le monde fait un grand ouf! de soulagement. La vie peut reprendre son cours (plus ou moins) normal

 

Mais le Carnaval ça n'a pas toujours été ça. Dans le temps, il y avait de véritables festivités. On savait s'amuser à l'époque. Les voyageurs du XVIIIème siècle parlent de ces fameux jeux de cocagne qui étaient organisés dans la ville à l'occasion du Carnaval. Le mât de Cocagne vous connaissez : un grand poteau enduit de savon noir en haut duquel sont accrochées des victuailles. Mais là encore, n'oublions nous sommes à Naples... A la place du mât c'était une immense structure de bois avec échafaudage et un décor figurant une scène bucolique de campagne et un peu partout étaient accrochées des victuailles variées : dindes, poulets, jambonneaux, quartiers de bœuf. Et en attendant le signal, toute la foule se pressait autour de la structure, entourée d'une chaîne et gardée par des soldats pour éviter les pillages. Mais laissons plutôt parler le Marquis de Sade qui se trouvait là en 1776 et qui nous raconte la scène de manière effrayée (et pourtant lui, il en a fait de belles aussi...) :

"A midi précis, tout le peuple dans la place, toute la ville aux fenêtres, le Roi lui-même souvent sur son balcon, on entend un coup de canon. A ce signal, la chaîne s'ouvre, le peuple accourt et dans un clin d'œil tout est enlevé, arraché, pillé avec une frénésie qu'il est impossible de se représenter. Cette effrayante scène qui me donna, la première fois que je la vis, l'idée d'une meute de chiens auxquels on fait la curée, finit quelque fois tragiquement. Deux concurrents sur une oie ou sur une pièce de bœuf ne se souffrent pas impunément. Il faut que la vie de l'un ou de l'autre en décide. Je fus témoin d'une horreur en ce genre qui me fit dresser les cheveux. Deux hommes s'attaquèrent pour une moitié de vache : le sujet en valait la peine, j'en conviens. A l'instant, le couteau est à la main. A Naples et à Rome, c'est la seule réponse à une discussion. Un d'eux tombe et nage dans son sang. Mais le vainqueur ne jouit pas longtemps de sa victoire. Les échelons sur lesquels il grimpe pour en aller dérober le fruit manquent sous ses pieds. Couvert de la moitié de vache, il tombe lui-même sur le cadavre de son rival. Viande, blessés, morts, tout ne fait qu'un. On ne voit qu'une masse, lorsque de nouveaux concurrents, profitant à l'instant de la disgrâce des deux vaincus, démêlent le monceau de viande des cadavres sous lesquels il est englouti, et l'emportent en triomphe tout dégoûtant encore du sang de leurs rivaux.."

Quand je vous disais qu'ils savaient faire la fête en ce temps-là… Ces fêtes d'une barbarie rare, qui excitaient de pauvres affamés, ont finalement été supprimées, mais ça donne une idée de la manière dont Naples a toujours su faire la fête. Il faut toujours que ça exagère.

Il y avait aussi des courses de chevaux organisées Via Toledo, de la Place Dante à la Place du Plébiscite. Toute la rue était recouverte de sable et on faisait concourir une douzaine de chevaux à la fois. C'était sûrement très beau, mais fréquemment les chevaux glissaient et vue que la rue n'est pas large du tout, ils finissaient sur le public qui était de part et d'autre et là aussi il y avait fréquemment des morts et des blessés. Donc plus de courses de chevaux non plus.

 

Mais puisque maintenant il n'y a plus ces fêtes de Cocagne, plus de courses à cheval, puisqu'on fait la chasse aux enfants jeteurs d'œufs, que fait-on à Carnaval? …On mange!

 

C'est d'ailleurs l'origine du mot Carnaval. Ca vient de l'italien "carne levare" = enlever la viande. Enlever la viande parce qu'à partir de ce jour on entre dans le carême et il ne faut plus manger de viande jusqu'à Pâques. (Ah ça vous en bouche un coin. Vous pourrez maintenant épater vos amis par votre culture…) Mais puisque après Carnaval, on ne peut plus manger, autant bien manger avant, et en particulier le dernier jour du Carnaval, le Mardi Gras.

Le plat traditionnel c'est une énorme Lasagne dans laquelle on met de tout : sauce tomate, fromage frais, béchamel, petits pois et même des boulettes de viandes. Et attention, on fait aussi la pâte de la Lasagne à la main. Et c'est super bon! Mais le repas ne s'arrête pas à la lasagne. Vous avez terminé avec peine votre deuxième part, vous croyez que vous allez pouvoir commencer votre digestion tranquillement? Que nenni, voilà le deuxième plat, la viande! Si vous avez de la chance on ne vous servira que du poulet avec des pommes de terre au four, mais il se peut qu'on vous serve aussi de la cotica. La cotica se présente un peu comme une paupiette de veau, mais il ne faut pas se fier aux apparences. En fait c'est un délicieux roulé de peau de porc… Puis on passe enfin au dessert. Généralement on mange des Chiacchiere (prononcer "kiakiéré") Chiacchiere ça veut dire bavardages mais ce sont des beignets dentelés et allongés. Et ces Chiacchiere on peut les tremper dans le Sanguinaccio.. Qu'est ce que c'est que ça encore?.. Sanguinaccio… Ca fait un peu peur ce nom. Et si! Comme vous pouvez le devinez, c'est fait avec du sang, du sang de cochon mélangé avec du chocolat. Alors dit comme ça, ça risque de vous dégoûter un peu, mais il paraît que c'est très bon, les enfants en raffolent, c'est un peu l'ancêtre du Nutella… Sauf que depuis 1992, pour des raisons de sécurité alimentaire, une loi interdit de vendre du sang de cochon, et on a donc du sanguinaccio sans sang..  Mais on peut encore en trouver du vrai dans les campagnes où ceux qui possèdent leur propre cochon peuvent toujours faire la recette originale…

En tout cas, si vous réussissez à manger tout ça, je pense qu'après vous n'aurez pas de mal à jeûner pour le Carême, vous n'aurez même pas besoin de vous forcer…

12:14 Publié dans Naples | Lien permanent | Commentaires (0)