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10/04/2007

La vie, c’est comme une boite de pizza...



J'habite à Naples, je découvre la ville et ses habitants, je vie à l'italienne, … C'est bien beau tout ça mais comment je fais pour vivre? Est-ce que je fais comme tous ces gentilshommes romantiques du XIXème siècle qui faisaient leur "Grand Tour" à la découverte de l'Europe pour chercher l'inspiration pour leurs belles histoires d'amour. L'argent pour eux était le cadet de leurs soucis : il y avait toujours un papa fortuné derrière ou quelques rentes si les malheureux étaient orphelins. Moi j'ai fait un peu ça les premiers temps mais au bout d'un moment il a quand même fallu que je me mette au boulot. Et à Naples, le travail, c'est la pizza. Me voilà donc à travailler dans une pizzeria. Et la pizzeria, c'est l'expérience à faire pour comprendre un peu mieux cette ville de fous.
Ca s'appelle "Antonio et Antonio", parce qu'il y a deux patrons qui s'appellent Antonio tous les deux. (On dirait deux frères mais après un peu de réflexion on se dit qu'ils n'ont quand même pas des parent sassez idiots pour avoir appelé leurs deux enfants avec le même prénom…) C'est une pizzeria assez chic quand même, en bord de mer avec une vue superbe sur le petit îlot où se trouve une vieille forteresse. Au loin, par temps clair on voit Capri et le Vésuve. Et moi je fais le serveur. Je ne sais pas pourquoi le patron m'a pris, moi qui n'ai aucune expérience de serveur, peut être pour se donner bon genre avec un serveur français.
En tout cas si c'est chic côté clients, côté personnel, c'est un peu moins chic, et c'est le moins qu'on puisse dire. Tous les autres serveurs sont napolitains. Des Napolitains dans toute leur splendeur. Première chose bonne à savoir et que j'ai vite pu constater : le Napolitain parle napolitain, et rien que le napolitain. Moi qui étais content de commencer à bien comprendre l'italien, j'ai tout à refaire : le napolitain c'est une autre langue et je ne comprends rien. Et c'est pas eux qui vont faire un effort pour me parler italien. Ca ne les dérange pas si je ne comprends rien à ce qu'ils me disent, ils persistent à me parler napolitain, à me raconter des blagues en napolitains que je comprends pas ( d'ailleurs dans ce cas là, je ne comprends ni la langue, ni l'humour quand ils font l'effort de traduire…)
Et puis l'ambiance là-dedans… Ca crie tout le temps. Au départ je pensais qu'ils avaient des problèmes entre eux, qu'il y avait des tensions, mais en fait non, ils s'engueulent par jeu, c'est l'humour napolitain : l'escalade d'insultes, les menaces, on croit qu'ils vont en arriver aux mains et puis non, à la fin tout le monde se marre. Alors moi évidemment la-dedans, j'ai l'air d'un extraterrestre, tout calme, à ne rien comprendre. Tout le monde se demande ce que je suis venu faire à Naples, ils n'arrivent pas à comprendre comment un français peut en arriver à venir travailler à Naples. Tout le monde hallucine de me voir arriver à bicyclette…
Côté clients c'est pas mal non plus. Un bel échantillon des "ririches" napolitains qui viennent se montrer avec toute la panoplie de la "fashion victime" avec lunettes de soleil, bottes en cuir et teint halé à la lampe à UV. Le dimanche midi, ils sont prêts à faire la queue pendant une heure pour venir s'asseoir sur une terrasse bondée au milieu du va-et-vient des serveurs énervés. Moi qui connais le côté cuisine, je ne viendrai jamais manger dans ce restaurant. Et vas-y que je te sers les frites qui sont tombées par terre, vas-y que je te fume au-dessus de la casserole, que je lave les assiettes après avoir changé le sac poubelle à mains nues. Le restaurant utilise des verres en verre. Mais jamais quelqu'un du personnel ne boira dans un de ces verres, en particulier ceux qui les lavent : c'est qu'ils tiennent à leur santé…C'est lavé à la main sans produit, et ils sont capables de laver dix verres en deux secondes sans même les désempiler…
Il y a plusieurs catégories de personnel. En bas de l'échelle, il y a ceux qui lavent la vaisselle et qui font tout le sale boulot, comme changer les poubelles ou éplucher les pommes de terre. C'est là qu'on trouve tous les immigrés clandestins sans papiers ou les napolitains les moins doués. C'est eux qui ont les horaires les plus lourds et qui sont les moins bien payés. Je le sais, je l'ai fait une fois dans un autre restaurant mais je suis parti au bout d'un jour : ils m'avaient pris pour un Ukrainien sans papiers. 12 heures de travail pour 25 euros… Ils trouveront bien un autre ukrainien ou un sri lankais illégal pour me remplacer…
Ensuite il y a la cuisine. Deux catégories : ceux qui font les plats de pâtes et les entrées et ceux qui font la pizza, les pizzaiolo. Ce sont ces derniers les vrais rois de la pizzeria, ceux qui font la réputation de la pizzeria. Ils sont intouchables et peuvent faire des caprices. Et enfin les serveurs. Là encore deux catégories : les premiers serveurs qui vont au contact avec le client, qui leur font du lèche botte avec des grands sourires en espérant le pourboire, particulièrement avec les américains, et les aide serveurs qui se tapent tout le boulot à porter les plats, débarrasser, servir les boissons, essuyer les verres. Et donc moi, me voilà aide-serveur. C'est une vraie promotion après mon expérience de lave vaisselle. Donc je gagne un peu plus d'argent en travaillant moins d'heures. Je débarrasse, je mets la table, je vais porter les plats aux clients. Le problème c'est quand les clients commencent à me parler : vu que souvent ils me parlent napolitain je ne comprends rien, et quand ils voient que je suis français, ils ne s'arrêtent plus, il me disent "comment ça va", "bonjour", "comme-ci comme-ça"(en français dans le texte), me racontent que l'année dernière ils ont été en vacances à Paris, qu'ils ont visité Dysneyland... Et les autres serveurs sont tellement contents d'avoir un serveur français que pour faire la conversation aux clients ils me montrent du doigt en disant "et d'ailleurs regardez, on a un serveur français…"
Un peu saoulant à la fin. Mais en fait la plupart du temps je me retrouve à essuyer les verres dans un tout petit passage, coincé dans un espace tout étroit entre les lave vaisselle et la cuisine où les serveurs n'arrêtent pas d'aller et venir créant des bouchons, au milieu des invectives. Avec juste à côté de moi le cuistot ukrainien (qui s'appelle justement Youri lui aussi) qui me parle de sa haine des russes et me traite de demi-sang parce que j'ai osé mélanger du sang ukrainien avec du sang français…
Voilà, voilà, pour une expérience napolitaine, je crois qu'il n'y a pas mieux. Et puis ça réserve des surprises quand même : par exemple, généralement, 90 % des conversations portent sur le football (c'est pas que je comprends le napolitain, mais dans la conversation j'entends des scores, les noms des équipes et des joueurs), mais ce matin en entrant dans le vestiaire, j'ai été bien surpris de les trouver en train de commenter une poésie de Pablo Neruda, "Ode à la vie". Avec la même verve que pour parler de football… Grand moment.

Travailler dans une pizzeria, c'est donc un bon moyen pour découvrir les conditions de travail du sud de l'Italie. C'est un grand restaurant donc les gens ne travaillent pas au noir. Mais c'est pas tout blanc non plus. On va dire qu'on travaille au gris. Par exemple, la pratique généralisée dans les milieux de l'hôtellerie c'est les faux contrats. Parce que la loi italienne, comme en France fixe des minimums salariaux, quelque chose comme 5 euros de l'heure. Alors on t'embauche à temps plein avec un contrat à mi-temps. Ou alors on te fait un contrat à temps plein, avec 6 jours par semaine mais on ne te donne que la moitié du salaire inscrit sur la fiche de paie. Les employés ne peuvent rien dire sinon ils sont virés, mais de toute façon, à Naples c'est considéré comme normal donc personne ne se plaint. D'un autre côté, comme il n'y a pas de contrainte pour le patron, il n'hésite pas à embaucher. On doit être une trentaine d'employés pour 150 couverts. Et ici on préfère prendre de la main d'œuvre que d'acheter des machines à laver la vaisselle par exemple.
En fait à Naples, on trouve les conditions d'un libéralisme économique idéal : une économie pratiquement sans taxes, puisque tout le monde s'arrange par un moyen ou un autre pour les contourner, et les salaires fixés par l'offre et la demande. Il y a beaucoup de main d'œuvre, donc les salaires sont bas. Si ça vous plait aller donc travailler à Naples.
En France, en comparaison, tout le monde paie les impôts. C'est peut être contraignant mais ça permet de financer le RMI par exemple, qui est un minimum de survie. En France personne n'accepterait de travailler pour 300 euros par mois. En Italie, où il n'y a pas le RMI, si.

Le problème donc, c'est que moi je ne suis pas napolitain et j'ai toujours eu un peu de mal avec le respect des conditions de travail. Ca doit être ma culture française qui m'a mis ça dans la tête avec les 35 heures, les normes salariales, les syndicats et tout ça. C'est vrai que c'est sympa de toucher sa paie en liquide à la fin de la semaine, ça me rappelle ce que me raconte mon papa sur comment c'était avant, mais bon, quand le charme de la nouveauté sera passé, je ne sais pas si je pourrai continuer longtemps à travailler dans ces conditions. (Mais d'un autre côté en France, on n'a personne qui chante "O Sole Mio" en balayant la salle…)




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